L'objet de cette conférence
est de vous expliquer, d'une manière générale,
ce que c'est que le judo. A notre époque féodale, il
y avait une quantité d'exercices guerriers tels que la lutte,
le tir à l'arc, l'usage des lances, etc., etc. Parmi ces exercices,
il y en avait un, appelé JIU-JITSU. C'était un exercice
complexe qui comprenait principalement les moyens de combattre sans
arme, tout en se servant à l'occasion de poignards, de sabres
et autres armes.
Les procédés d'attaque consistaient surtout à
jeter, à frapper, à suffoquer, à immobiliser
l'adversaire au sol, à courber ou à entrelacer ses bras
ou ses jambes de manières à provoquer une douleur ou
une fracture. On enseignait aussi l'usage du sabre et du poignard.
Nous avions en même temps de nombreuses manières de nous
défendre contre des attaques de ce genre. Cet exercice, dans
sa forme primitive, existait dès notre époque mythologique,
mais son enseignement systématique en tant qu'art date d'il
y a 350 ans, à peu près.
Dans ma jeunesse, j'ai étudié cet art avec trois maîtres
éminents de l'époque. Le grand profit que J'ai tiré
de cette étude m'a conduit à la décision de m'adonner
plus sérieusement à elle et c'est ainsi qu'en 1882 j'ai
fondé moi-même une école que j'ai appelée
KODOKAN. Kodokan signifie « une école pour étudier
la manière », le sens réel du mot manière
étant la conception de la vie. J'ai appelé le sujet
que j'enseigne JUDO au lieu de JIU-JITSU (le professeur Jigoro Kano
estime que les termes du JIUDO et JIUJUTSU sont préférables
aux termes plus communément usités de JUDO et JIU JITSU).
Je vous expliquerai d'abord la signification de ces mots : - Jiu -
signifie souple ou céder ; - jutsu - est un art ou un procédé
; - do - le moyen ou le principe, de sorte que le Jiu-Jutsu signifie
un art, ou une pratique de la souplesse qui consiste à céder
d'abord afin d'avoir la victoire finale. Judo signifie le moyen ou
le principe de cette action.
Voyons maintenant ce que c'est que cette souplesse ou cet art de céder.
Supposons que nous estimions la force d'un homme en unités.
Admettons que la force de l'homme qui est en face soit représentée
par 10 unités, tandis que ma force, moindre que la sienne,
soit représentée par 7 unités. Dans ces conditions,
s'il me pousse de toute sa force, je serai certainement poussé
en arrière ou jeté au sol, même si je me sers
de toute ma vigueur contre lui. Cela arriverait parce que je me serais
servi de toute ma force contre lui, si je cède à sa
force en retirant mon corps juste autant qu'il avait poussé
et en prenant soin, en même temps, de garder mon équilibre,
il sera forcé de se pencher en avant et de perdre ainsi son
équilibre.
Dans cette nouvelle position, il peut être devenu si faible
(non pas en force physique, mais à cause de sa position gênante)
que sa force se trouve représentée à ce moment,
disons par 3 unités au lieu de 10 unités normales. Mais
pendant ce temps, moi-même, en gardant mon équilibre,
j'ai conservé toute ma force qui était primitivement
représentée par 7 unités. Je me trouve donc momentanément
dans une position avantageuse et je peux triompher de mon adversaire
en me servant seulement de la moitié de mes forces, soit 3
unités et demie contre ses 3 unités. Cela laisse à
ma disposition la moitié de mes forces en cas de besoin. Si
j'avais une force supérieure à celle de mon adversaire,
j'aurais pu naturellement le repousser, même dans ce cas, c'est-à-dire,
si j'avais voulu le repousser et si j'avais eu le pouvoir de le faire,
j'aurais dû tout de même céder d'abord parce qu'en
procédant ainsi j'aurais grandement économisé
mon énergie.
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